C'était une vieille dame qui marchait dans la rue.
Elle marchait, comme ça, pour aller plus loin.
Un sac à provision,
Toile cirée noire,
Avec des légumes qui dépassent d'un côté,
De l'autre une bouteille.
Elle marchait.
Pas lentement,
Mais pas vite non plus.
Décidée,
Ses bas tombaient un peu
Et quand elle y pensait, elle évitait les flaques d'eau.
Elle marchait dans la rue grise
Parmi les immeubles et les chantiers désaffectés.
La ceinture de son manteau marron au col relevé
La sanglait un peu trop fort :
Enveloppe contre le froid humide.
Elle marchait avec obstination
Par habitude.
Noué sous le menton,
Un foulard usagé protégeait sa tête.
Etait-ce un long voyage ?
Sûrement.
Elle avait beaucoup marché.
Elle avait toujours marché.
Et elle avançait.
Elle allait vers le bout de la rue,
Vers le bout du bout de la rue.
Son visage était caché par le foulard.
Mais elle regardait droit devant elle.
Elle n'avait pas l'air très fatiguée.
Loin, très loin derrière elle,
Il y avait des pommiers fleuris
Et des ruisseaux dans le gazon.
Et sous ses pieds, il y avait encore le gazon.
Et autour d'elle,
Les ruisseaux
Et les pommiers.
Et maintenant, elle était passée
Et on voyait son dos
Et ses pieds qui dansaient
Dans le gazon.
Et elle marchait en s'éloignant
Et sa silhouette en diminuant
Devenait juvénile.
Et son pas de plus en plus précis et agile
Et sa taille souple
Et la petite mèche de cheveux
Qui tombait du foulard
En faisaient une petite fille
Grandie trop vite
Par hasard.
Elle marchait toujours dans le gazon.
Elle marchait vers là-bas
Vers le gazon.
Le gazon qui est au bout de la rue,
Au bout de la rue qui est après la rue,
Après la rue qui précède les pommiers
Où coulent les ruisseaux
Dans le gazon.
On ne l'avait pas vue passer.
Elle était arrivée trop vite.
Le temps d'un regard, elle avait continué.
Elle venait juste de quitter les pommiers
Et elle allait vers les pommiers
Sans mesurer le voyage.
Vive et gracieuse
Vers la fin de la rue
Vers la fin de la fin des rues
Vers la fin du voyage
Et des ruisseaux
Sous les pommiers.
1994
2014
Edition Mélibée
392 pages
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...