Pourquoi ?
Pourquoi se coucher
Quand on n'a pas terminé sa journée
Les choses inachevées
C'est mal.
Elle le dit bien, la Mémé
« Ne remets pas à demain ... »
« Tu viendras souper quand... »
« Tu iras jouer après le ...»
J'ai honte.
D'ailleurs, cette journée,
L'ai-je vraiment commencée
Et hier
Et avant
Et encore avant ?
Je me souviens, un jour, j'ai fait quelque chose.
Il y a longtemps.
Mais je ne me souviens plus quand.
Ni ce que c'était.
Je sais que je trouvais cela très bien.
J'étais assez fier.
Je m'étais dit :
"Désormais, il en sera toujours ainsi."
Mais je n'ai pas tenu.
C'est dommage.
J'aurais du.
Maintenant, je me demande si je pourrais encore.
Alors, je n'ose pas essayer.
J'ai peur.
Un jour, bientôt, je recommencerai.
C'est sûr...
Quel jour ?
Chaque jour où je n'essaie pas est un jour perdu.
Existe t’il un nombre de jours ?
Je vais recommencer ;
Je vais recommencer
Je vais recommencer...
Quand ?
Aujourd'hui peut-être,
Il est, certes, bien tard, mais,
Ma journée n'est pas terminée.
Je ne parle pas en heures,
Mais en missions accomplies
En tâches réussies,
En oeuvres finies.
Elle n'est pas terminée parce qu'elle n'est pas commencée.
La nuit déjà s'étire.
Mais pour moi, le jour n'est pas encore levé
Pour moi, le jour va se lever.
Pas celui de demain,
Non,
Celui d'aujourd'hui,
Celui d'hier,
Celui de l'an passé.
C'est pourquoi,
Pourquoi je n'ai pas de temps à perdre,
De temps à dilapider,
A gaspiller,
A jeter.
C'est pourquoi je ne peux pas,
Je ne veux pas,
Abandonner,
Capituler,
Et aller me coucher,
Maintenant,
Si tôt,
Quand tout peut encore exister.
Il faut d'abord
Tout penser,
Tout faire,
Tout dire,
Tout écrire,
Pour ne pas oublier.
Tout créer,
Tout construire,
Tout réaliser,
Tout conclure,
Pour ne pas hésiter,
Tout contrôler,
Tout vérifier,
Tout approuver,
Tout contempler,
Pour ne pas se tromper,
Tout apprécier,
Tout savourer,
Tout ordonner
Tout couronner
Pour pouvoir le donner,
Et seulement alors,
Peut-être alors seulement,
Aller se coucher
Pour l'éternité.
1994
2014
Edition Mélibée
392 pages
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...