Ceux qui petits,
Ceux qui lâches,
Ceux qui tièdes,
Ceux qui mous
Ceux qui Flasques
Ceux qui reptiles,
Ceux qui ne pensent pas,
Ceux qui pensent peu,
Ceux qui pensent comme il faut,
Ceux qui veulent penser comme il faut,
Ceux qui pensent qu'ils pensent,
Ceux qui pensent qu'il faut penser comme il faut,
Ceux qui mesquins,
Ceux qui s'alignent
Parce qu'on les aligne
Et qui n'espèrent même pas,
Un jour,
Aligner les autres.
Ceux qui espère, un jour aligner les autres
Et qui se sont laisser aligner
Pour cela;
Mais ne s'en rendent plus compte.
Ceux qui honorent,
Ceux qui bavent,
Ceux qui: veules,
Ceux qui: fats,
Ceux qui: vains,
Ceux qui décident de ne rien décider,
Ceux qui sont dépassés,
Ceux qui se noient dans un verre
Vide.
Ceux qui n'ont jamais su
Qu'il y a des choses à comprendre,
Ceux qui n'imaginent rien,
Ceux qui réprouvent qu'on imagine,
Ceux qui ne réprouvent même pas
Mais n'imaginent pas non plus qu'on puisse imaginer,
Ceux qui font comme on leur dit,
Ceux qui votent comme on leur dit,
Ceux qui attendent qu'on leur dise,
Ceux qui n'attendent pas mais ne font rien en attendant,
Ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez
Et ont le nez petit.
Ceux qui se croient libres
Parce qu'ils traversent en dehors des passages pour piétons,
Ceux qui librement aliènent
Leur liberté,
Ceux qui librement hurlent
Contre la liberté des autres,
Ceux qui envisagent
Des distributions de coup de pied au cul
Sans pensée émues pour leurs propres fesses.
Ceux qui ne volent pas de mobylette,
Ceux qui ne volent pas de mobylette
Parce qu'ils préfèrent les voitures.
Ceux qui ne disent rien.
Ceux qui parlent fort,
Ceux qui croient que la valeur des arguments
Tient à la puissance de la voix
Ceux qui croient que la valeur des arguments
Tient à la puissance tout court.
* *
T'en souvient-il, la Belle
Des beaux parfums dont nous songions?
Mille candeurs d'ombelles
Venaient en compactes légions
Tu m'accordais, rebelle,
Ton vrai sourire en religion.
Tu dansais. L'émotion,
Chose si rare que tu celles
Courait sans intention
En prés fleuris, en étincelles
Tes moments d'attention,
J'en recueillais chaque parcelle.
La vie était nouvelle;
Dans cet ailleurs dont nous rêvions,
Les moissons en javelles
Nous emportaient et nous bravions
Toute mort qu'on révèle;
Dans nos espoirs de grands avions
Nous, malheureux troupions,
Nous échappions à nos attelles;
Et, n'étant plus les pions
De l'échiquier que l'on râtelle,
L'air frais, nous le happions
En défilant notre dentelle.
Dressés en paix jumelles,
Nous chantions notre pavillon.
Nous allions où se mêle
Le vol hasard des papillons.
Goûte! Goûte comme ailes!
Le parfum vert des grappillons.
Vivent les illusions!
Les souvenirs en ritournelle
Brûlent les décisions.
L'herbe qui naît est éternelle
Croissant dans la vision
De nos chansons sous la tonnelle.
* *
Ceux qui poussent la voiture quand il y a assez de monde,
Ceux qui veulent bien aider
A condition que cela se sache,
A condition de ne pas être le premier.
Ceux qui signent les pétitions
En milieu de page
Du milieu.
Ceux qui font remarquer
Qu'ils ne se font pas remarquer.
Ceux qui attendent qu'une majorité se dessine
Pour être les premiers;
Ceux qui ne sont opposant
Que quand l'opposition est majoritaire
Mais prennent des précautions
Pour pouvoir changer de camp
Si nécessaire.
Ceux qui, au secours de la victoire, volent;
Ceux qui savent obtenir une distinction.
Ceux qui se font décorer
Sans demander eux même.
Ceux qui arborent leur décoration
Et qui en sont fiers;
Mais disent à chacun
Qu'ils y sont obligés
Et que cela froisse leur humilité.
Ceux qui, simultanément,
Un fond de culotte merdeux
Ont
Et plus haut que leur derrière
Pètent.
Ceux qui trempent dans toutes les sauces
Et qui ne veulent pas se mouiller.
Ceux qui sont près à tout
Pour n'être près à rien.
Ceux qui promettent n'importe quoi
En sachant qu'après, ils feront un autre n'importe quoi.
Ceux qui promettent pour obtenir
Et virent leur cuti lorsqu'ils ont obtenu;
Ceux qui ont une veste en peau de caméléon.
Ceux qui laissent croire qu'ils promettent
Mais savent bien montrer après
Qu'il n'en était rien.
Ceux qui font prendre des vessies pour des lanternes
Ceux qui après décision délèguent
Afin de pouvoir se démarquer.
Ceux qui font porter le chapeau.
Ceux qui ne signent jamais.
Ceux qui font rédiger leurs discours
Et qui le signent.
Ceux qui signent à la place des autres;
Ceux qui sont sur la photo.
Ceux de qui on parle.
Ceux qui ne vomissent jamais,
Ceux qui font vomir les autres
Et que cela écœure.
* *
Je garde encore ce soir
Les mots qui s'enfuient si vite,
Ton souvenir, mon miroir
Viens! Le ciel n'est pas si noir
Et le refus de faillite,
Je garde encore ce soir.
Disparu dans un couloir,
Fuit un fantôme hypocrite,
Ton souvenir, mon miroir.
Les odeurs d'un vieux mouchoir,
Que pourtant toujours j'évite,
Je garde encore ce soir.
Est-il parti sans me voir,
Lié par une fin subite,
Ton souvenir, mon miroir?
Rangée au fond d'un tiroir,
Ton œuvre que j'ai transcrite,
Je garde encore ce soir.
Il faut serrer le bel avoir,
L'ombre qui ne se délite,
Ton souvenir, mon miroir.
Son caché dans un fermoir
Ta voix que la lune imite,
Je garde encore ce soir.
Au murmure du parloir,
Ton cri est là, il hésite,
Ton souvenir, mon miroir
Discret et sans le savoir,
Ton discours qui s'irrite,
Je garde encore ce soir.
Mélodie du grand Falloir,
Je crois que toujours m'habite
Ton souvenir, mon miroir.
Entends-le, ce chant d'espoir!
Son image nous invite;
Je garde encore ce soir
Ton souvenir, mon miroir.
* *
Ceux qui sont de tous les vernissages,
Ceux qui inaugurent,
Ceux qui font venir la presse.
Ceux qui font chorus,
Ceux qui acclament en se cachant
Par prévoyance.
Ceux qui y étaient
Et qui le disent,
Ou qui le disent,
Ou qui le nient,
Ou s'en dédouanent.
Ceux qui ont le courage
De n'être pas courageux.
Ceux qui pleurent sur le passé
Dont, pourtant ils étaient.
Ceux qui remplissent bien les formulaires.
Ceux qui ne remettent pas en cause.
Ceux qui remettent en cause;
Ceux qui remettent en cause les remises en cause.
Ceux qui se réunissent
Ceux qui réunissent.
Ceux qui font prendre des décisions démocratiques
Soigneusement induites par eux.
Ceux qui, lorsque la démocratie
Ne va pas dans leur sens,
Passent outre
Au non de l'intérêt supérieur.
Ceux qui applaudissent
Quand il faut applaudir.
Ceux qui ne savent pas quand il faut applaudir
Et applaudissent avec les autres:
Plus fort que les autres.
Ceux que l'intérêt dirige.
Ceux qui veulent monter en grade.
Ceux qui veulent un bout de reconnaissance
Et ne reconnaissent pas ce qu'on peut reconnaître.
Ceux qui veulent être chef
Parce qu'ils ont peur des chefs.
Ceux que la différence étonne
Et scandalise
Et qui proclamant le droit à la différence
Pour ne pas être différents.
Ceux qui craignent les changements,
Ceux qui rejettent la nouveauté
En criant: «Vive le progrès!»
Ceux qui pérennisent
Ceux qui sont installés,
Installés dans leur installation,
Installation misérable
De capitulation étroite
Et inconsciente.
Ceux qui n'aiment pas la peinture moderne.
Ceux qui aiment la peinture moderne
Si ça fait cultivé,
Si c'est déjà accepté
Si c'est déjà reconnu,
Si ça permet de spéculer.
* *
Les ombres magiques de tes chatoyances
S'étalent, surface, pour des festoyances;
Et les reliefs barbares que tu inscris,
En aimables tons frais, nous lancent ton cri.
Les turbulents magmas, posés en silence,
Gavent le repos de celui qui s'avance.
Les éclats de soleil disent ton regard
Ebroué de désir, murmure hagard.
Là, le geste lent et précis que tu cloues
Et répand comme un farfadet qui te loue
Rebondit sur le mur: brume de foulard.
L’écho de ton rêve nous marque ta part.
Les fraîches aubades de matin perlé
Que danse ton dire en ordre démêlé
Incite au repos en grande bacchanale:
Douleurs qui t'effraient dans leurs hordes fatales.
Tu ouvres à chacun ton œil dégelé,
Et ta souffrance gît au fond de l'allée.
Furie en bamboche que tu as reçue,
Tu clames le calme pour un aperçu.
Emprise de fougue et de ressort câlin,
Ta main qui se lance d'un geste malin
Enfourche la fièvre des rires déçus;
Ce qu'on peut en dire, tu t'assois dessus.
* *
Et voila.
Tout ceux-là,
Ceux qui ont été évoqués
Et cités;
Mais pas seulement ceux-là,
Parce qu'on en a oublié,
Vous pensez...
Ceux qu'on a oubliés
Parce qu'on les oublie toujours,
Et ceux qu'on a oublié
Parce qu'ils savent se faire oublier.
Donc, tous,
Les oubliés
Et les pas oubliés,
Vont, viennent,
Ils respirent,
Comme vous et moi;
Ils mangent...
Enfin, pas tous,
Ou pas comme vous et moi.
Il y en a, qui... plus que vous et moi...
On se demande comment ils font;
Mais, la plupart, largement moins;
Et eux aussi, on se demande comment ils font.
A part cela, chacun est satisfait de son sort.
On se fait croire qu'on a drôlement de la chance
Et qu'il y a plus malheureux.
On se fait croire qu'après, ça ira mieux;
Et que si après ça risque d'aller mieux,
Il n'y a pas de raison de blâmer ceux qui vont déjà mieux;
Même si c'est infiniment différent.
Mais, cela, on ne s'en rend pas compte, naturellement.
Alors, on continue,
Alors, on obtempère,
Alors, on n'a pas d'ambition,
Ni de projet.
On attend Dimanche
Pour jouer aux boules
Avec les copains
Et ça va bien.
On fait des petits
Qui continueront le même chemin.
* *
Hurle ta douceur,
Silence sauvage!
Eteins la noirceur,
La paix te ravage.
Déchire le vide,
Elan psalmodié
Et la joie perfide
N'est plus remédiée.
Chante le tumulte
Brouhaha rangé;
Et l'horreur des cultes
Des morts vendangés.
Romps la dispersion.
Attirante douleur,
Détruits l'aversion
En mille couleurs.
* *
Et le temps passe.
Pourquoi voulez-vous que ça change?
Ceux qui vont infiniment mieux
N'y ont pas intérêt,
Et comme c'est eux qui commandent...
Moins les autres seront renseignés,
Et mieux cela ira
Pour ceux qui vont infiniment mieux.
Donc, pas de vagues,
Pas d'éclaboussures,
Chacun son affaire,
Chacun sa ration,
Chacun son monde,
Chacun son destin,
Et de toutes façons,
«On n'affranchit pas les caves.»
* *
Délicate lunule
De douceur majuscule
Tu écris le souhait
De celui qu'on flouait.
* *
Donc, voila.
Ce qui cache un peu tout,
Et donc ce qui aggrave,
C'est que, par-ci par-là,
Quelques individus,
Allez savoir pourquoi,
Sont un peu favorisés.
Très peu.
Ils sont bien trop loin du haut
Pour voir le haut.
Alors, ils croient que c'est eux,
Le haut.
Ils en sont persuadés,
Et le crient très fort.
Entre eux ils se chamaillent:
«- Mais si.
- Mais non.
- C'est pas moi!
- Moi non plus.
- C'est toi!
- Non, c'est lui.»
Pour ceux d'en bas,
C'est un écran de fumée.
Un chef d'équipe...
Un contremaître...
C'est quelqu'un.
On sait qu'après,
Il y a encore,
Peut-être,
Un personnage mythique,
Mais qu'on ne voit jamais.
Il doit être dans un château
Où on ne peut pas aller.
Ca se dit;
Mais le château,
On ne sait pas où il est.
* *
Un jour, tes yeux, je regarderai;
Et dans tes yeux, au fond de tes yeux,
Au fond de ton regard trop soyeux,
J'attendrai vivre l'ultime arrêt.
Un jour, ta tête, dans mes mains,
Je la prendrai. Tes tempes sous mes doigts
Battront sans fin jusqu'à ce qu'ondoie
Le demain éternel lendemain.
Un jour, dans ton sourire caché,
Je me glisserai. Dans sa chaleur
Et sa fraîcheur mêlées, sa pâleur
Me dissoudra en paix arrachée.
Et ta tête dans mes mains tenue,
Et tes yeux regardés en breuvage,
Et blotti dans ton sourire sage,
J'attendrai que l'heure soit venue.
Et l'heure viendra un peu plus tard,
Quand devenus éther, les questions,
Pas posées, auront leur solution
Dans l'univers glacé, quelques part.
* *
Un gradillon, cela rend fier.
On ne fabrique plus,
On remplit des papiers.
On se fait des courbettes,
On se coopte,
On crée des commissions, on invente des réseaux,
On inscrit dans des superstructures
Que l'on structure
Pour être super.
On se congratule.
On prononce des discours vains.
On se dépeint comme brillant et judicieux,
Et dans le droit fil de ce qui est souhaité en haut-lieu.
L'autre, qui n'est pas dupe,
Reçoit le message,
Fait semblant de le croire,
Et félicite pour la pertinence de ce qu'il entend et voit.
Sans être dupe non plus,
On accepte la félicitation
Dont on s'enorgueillira, plus tard,
Devant un tiers qui agira de même,
Et ainsi de suite.
Puis, on s'étonne quand la réalité
Est rebelle.
Vraiment, la base,
On n'y peut pas compter.
Tout irait tellement mieux
Si on ne l'avait pas.
Des trains sans voyageurs,
Des compagnies ferroviaires sans trains
Et sans personnel...
Des écoles sans élèves...
Et sans classes...
Des hôpitaux sans malades...
Des routes sans automobiles...
Cela irait si bien sur le papier.
Quel rêve!
Hélas,
Les services au service des hommes de terrain?
Ou les hommes de terrain au service des services?
Y aurait-il quelque chose
De pourri
Au royaume de Danemark?
Pauvre Danemark!
* *
Couché dans un ruisseau de clair argent glacé,
Je garde en mon esprit ta pensée cristalline.
Mon souffle m'a quitté, par l'onde déplacé,
Et mon corps trop lavé prend couleur de platine.
L'eau lisse mes cheveux. Sous mes joues on devine
Mon grand lit fait de mousse aux feuilles compassées.
Couché dans un ruisseau de clair argent glacé,
Je garde en mon esprit ta pensée cristalline.
Parfois la libellule, visiteuse mutine,
Se pose sur mon nez dans son parcours pressé.
Je regarde le ciel en arbres inversés.
Ton visage m'entend, et puis, il me dessine
Couché dans un ruisseau de clair argent glacé.
* *
«Mais enfin, Célestine!
Tu n'as pas obtenu ton?
Et le formulaire bleu XV3 62S,
Tu ne l'as pas rempli?
Tu ne savais pas qu'il fallait le demander?
Tu ne savais pas que cela existait?
Allons, ma pauvre Célestine,
A quoi penses-tu?
Bien sûr, tu es dans tes...
Tu ne pourrais pas être sérieuse,
De temps en temps?
Ton métier! Ton métier!
Est-ce seulement un vrai métier?
Et puis, il faut que tu t'occupes
De tes affaires!
Il faut faire des démarches,
Bâtir des dossiers,
Et les présenter,
Et les défendre,
Et les justifier...
Non, ce n'est pas automatique.»
«Qu'est-ce qu'il raconte, celui-là?
Tu quoi,
Tu joues de la...
Bouff!
Comment cela, ce n'est pas une plaisanterie?
Encore qu'avec toi...
Où ça que tu dis?
Allez, laisse moi tranquille avec tes bêtises.»
Ah oui? Il y a un musée?
Ah bon.
Au théâtre?
Ah bon.
Un roman?
Moi, je ne lis que des revues techniques.
Le reste, je n'ai pas le temps,
Vous comprenez...
Non, je ne m'occupe que de choses sérieuses, moi.
Rendre service?
Et qu'est-ce que cela me rapporte?
La pensée? La beauté?
La culture?
C'est incompréhensible.
Et puis, cela ne se mange pas en salade.
* *
Par le ciel étoilé,
Par les airs étalés,
Par la mer en tempête,
Par la terre défaite
Et par la déchirure de l'humanité,
Par la misère froide et par ses vanités,
Par la chaleur du jour,
Par le feu du parcours,
Par l'ombre de la nuit,
Par l'effroi que l'on fuit,
Par le froid des matins où l'on va travailler,
Par la pluie qui ruisselle dans les vies brouillées,
Par la fuite des eaux,
Par la joie des oiseaux,
Par demain qui s'approche,
Par l'espoir qui s'accroche,
Par la paix qui s'enflamme autour des horizons,
Par le calme qui bout au fond de nos maisons,
Par la fleur qui s'ébroue,
Dans le pré que l'on troue,
Par l'oubli repoussé
Et le rire amassé,
Je dis, j'affirme à ceux que mon regard embrasse,
A ceux que mon discours et mes yeux embarrassent,
Contre tout bon sens,
Contre toute observance,
Contre tout ce qui plie,
Contre toute folie,
Contre le bien penser et le penser bien sage,
Contre le discours sain qui porte ses ravages,
Contre les vaniteux
Et contre les miteux,
Contre les établis
Aux gestes anoblis,
Contre les petits gueux avec leurs esprits fades
Contre l'ordre des choses dressé dans ses bravades,
Contre ce qu'on approuve
Et ce que l'on réprouve,
Contre ce que chacun dit
Du lundi au lundi,
Avec la force et hargne de douceur sucrée,
Avec la paix violente qu'en ton cœur tu crées
Avec la certitude,
Avec ma gratitude,
Avec tout le courage,
Avec tous ses mirages,
Je clame et réitère, flamboyante présence,
Ce que je n'ai pas dit, broyé dans mon silence.
* *
Et puis, il y a les autres:
Les asociaux,
Les illuminés,
Ceux par qui le malheur arrive.
Peu nombreux, heureusement.
Ils faussent le jeu.
Le haut; le bas, le milieu,
Le milieu plus près du bas que du haut,
Le milieu tout court et qui est partout,
Cela les indiffère.
Pour eux, le problème n'est pas là.
* *
Clochette fleurette qui réjouis les prés,
Tu jettes, et nous prêtes ton regard diapré.
Mâtine gamine qui sort de son lit,
Divine coquine tu nous abolis
Civelle trop frêle, qui redoute encore
Les belles nouvelles des bruits de dehors,
Livresques grotesques tu hais ces péchés;
Les fresques sont presque déjà séchées.
Alors, tout ton corps fuit ton épouvante,
Et l'or qui t'adore se dresse et t'invente
La haine qu'on traîne veut t'envelopper,
Que vienne la plaine, tu sais galoper.
Les villes défilent en riches maisons,
La bile servile n'est pas ta raison,
Et coule la foule des hommes perdus,
Tu roules le moule à ton art éperdu.
* *
Eux, ils font autrement.
Et c'est ça qui est grave.
Tout ce qui est différent
Menace l'édifice.
Et quand l'édifice branle,
Ceux qui se font le plus mal,
Sont ceux qui tombe de plus haut.
Alors là, on ne plaisante plus.
Découvreur?
Au bûcher!
Inventeur?
De canons? Non?
Au bûcher!
Novateur?
Au bûcher!
Expliqueur?
Au bûcher!
Créateur?
Au bûcher!
«- Pourtant, ce qui existe,
Il a bien fallu, un jour, l'imaginer...
Donc il y a bien eu des imagineurs,
Dans : le passé.
- Certes, mais ceux là aussi,
On les a brûlés.
Vous discutez?
Au bûcher!»
Au bûcher!
Au bûcher!
Au bûcher!
La nouveauté, oui, bien sûr;
Mais uniquement
Celle que, déjà, on connaît.
Sinon...
Non mais!
* *
L'aurore se lève; elle éblouit tes yeux,
Et ton regard ouvert s'élance plus haut.
En cône inversé, le monde est plus beau,
Et tu y pénètres d'un désir radieux.
Ton pas se décide tu vas où il faut;
Tu es découvrante et reconnais les lieux;
L'aurore se lève; elle éblouit tes yeux,
Et ton regard ouvert s'élance plus haut.
La nuit fuit son partage. Venant du milieu,
Un grand éclairage réchauffe ta peau.
Ton souffle gardé déchire les rideaux;
Et tu franchis les cercles amis des dieux;
L'aurore se lève; elle éblouit tes yeux.
* *
Alors,
Gluez!
Tripards ringards,
Politicards pendards,
Hussards hagards,
Mitards, placards,
Et chiards gueulards,
Panards papelards
Dédaignez, conspuez, étouffez, écrasez,
Vilipendez, emprisonnez, bâillonnez
Ceux que vous méprisez.
Votre mépris n'est pas crédible.
Il n'est que le visage de votre effroi,
Et votre effroi est laid.
Il a la laideur
De votre incurie,
De votre conservatisme,
De votre obscurantisme,
De votre immobilisme,
De votre lâcheté,
Et de votre bêtise.
Si, plus tard, on se souvient de vous,
Ce ne sera pas pour votre grandeur factice,
Mais pour vos freins,
Vos refus,
Vos censures,
Vos interdits
Et vos index.
On vous garderait si vous étiez grands
Dans l'abjection.
Toutefois,
Comme on n'est abject que contre quelqu'un,
C'est, pauvres détracteurs, accroché à ses mollets,
Comme la boue du chemin
Que vous survivriez,
Peut-être,
Grâce à lui:
Parasites méprisables,
Suçant le sang des chevaux.
Or, même cela,
Vous n'en êtes que très peu capables.
Donc, adieu.
Laissez-nous respirer.
* *
Le beau éveille ton esprit en un songe.
Enfuit, le soucis malvenu qui te ronge.
Tu vas, vers l'avenir, dans un désert riant
Que tu rempliras d'images où tu plonges.
Loin devant l'horizon, ton regard est brillant;
Tu cours en jetant, haut en l'air, tes sandales;
Et tu teins de ciel vert le noir sable criant.
Tu peux, dans ce vide, inventer des dédales
Où tu libéreras le silence de cris
Resté prisonnier au fond de tes pétales.
Ici, les interdits seront, par toi, proscrits;
Inventant des voies, que partout on ignore,
Des réseaux retrouvés qui n'étaient pas écrits.
Les formes lancées sont un parfum qu'honore
Le vol reconnu de l'oiseau te conduisant,
A l'initial parcours de la mandragore.
L'initiation t'épargne les mots séduisants;
L'oiseau te transporte, il faut que tu sois prête,
Et prête à surmonter les travaux épuisants.
Ce que tu feras, c'est toi qui le décrètes;
Les questions ne sont plus puisqu'elles sont partout,
Y répondre est un jeu, pour toi la secrète.
Aucune hésitation, puisque tout est va-tout,
Dansante étincelle au son de la lumière,
Tu bondis en tatou surpris d'être un matou.
Ton geste produit, en flaques singulières,
Un nouveau précipice, où ta pensée se fond,
Pour en jaillir, plus tard, en valeur première.
Tu comprends et traduis tout ce que l'on confond;
Le doute et sa peur ne sont plus apanage;
Hésiter est parti; il est resté au fond.
Bateau relancé d'un nouveau carénage,
Il n'est plus de chercher ce que l'on doit chercher;
Mais trouver suffit sans aucun dépannage.
Hisse alors la grand voile et, dans les airs couché,
Navire révélé, ne crains plus le mensonge;
Tu vogues, maintenant, sur les vagues perché.
Le beau éveille ton esprit en un songe.
11/12/97
2014
Edition Mélibée
392 pages
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...