La nuit est arrivée.
Pas la nuit lumineuse
De milliards d'étoiles inconnues,
Non.
La nuit.
Le noir.
Le noir: noir.
Le noir absolu.
Le noir épais,
Visqueux
Mais diaphane et léger
A la fois.
Le noir d'absence de tout,
D'absence de lumière,
D'absence de souvenir,
D'absence de souvenir de lumière,
D'absence de couleur,
Le noir d'absence
Même de noir.
C'est normal!
Il y a eu le matin.
Bon...
Puis la journée s'est avancée.
Le soir aussi s'est avancé.
Et maintenant,
La nuit est arrivée.
Plus rien n'existe.
Je suis dans le rien.
Dans le rien noir.
Dans le noir rien.
Je suis allongé sur le ventre;
Et je suis bien.
Enfin, Je ne suis pas bien,
Mais je ne suis pas mal.
Je ne suis rien.
Je suis posé sur une surface
Plane et horizontale.
Horizontale? Dans le fond,
Je n'en sais rien.
Mais je suis posé dessus...
Ou au dessous,
Ou sur le côté.
Allez savoir.
D'ailleurs,
Vous non plus,
Vous n'en savez rien;
Puisque vous n'existez plus.
La surface est plane.
Ça, j'en suis quasi sûr
En n'étant sûr de rien.
Cette surface est dure;
Mais pas agressive.
Elle n'est pas dure, dure.
Non, Elle est douce
Sur un fond dur.
Comme une moquette
Sur un parquet dur.
Je suis sur une moquette noire
Sur un parquet dur noir
Qui ne sont rien.
Qui ne dépassent pas de mon contact
Sur eux.
Et ce sol noir est transparent,
Transparent de noir,
Simple contact noir,
Dans le noir environnant.
J'ai les jambes un peu écartées;
Les bras aussi, mais pas trop
Et j'ai la tête sur le côté.
De quel côté?
Je n'en sais rien.
Est-ce que je regarde
A droite ou à gauche?
Cela n'a pas d'importance.
Est-ce ma joue droite
Ou ma joue gauche
Qui est posée?
Je crois que c'est la gauche;
Mais, ce n'est pas sûr.
Et puis, c'est indifférent.
Si c'est vraiment la gauche,
Alors, je regarde à droite.
Je regarde à droite le noir
Rempli de rien;
Et cela ne me pose aucun problème.
Je flotte sur ma plaque,
Inexistant et rigide,
Sans que cela ne me dérange nullement.
Entre mon support et moi,
Une grande tache de sang.
De sang rouge
Qui s'étale,
Immobile et chaud;
De sang que je pense rouge
Parce que je sais que le sang
Est rouge.
Mais, comme je ne vois rien,
Peut-être est-il noir aussi.
Ce doit être un rouge
Noir.
Le sang est un peu collant;
Et il est chaud.
Là, je suis sûr.
Du moins, c'est ce que je sens.
Mais depuis le temps que c'est ainsi,
Le temps étant lui même aboli,
Je ne saurais affirmer
Que ce que je sens
Est une réalité:
Une réalité qui, pour les autres,
Se défend.
Mais, Comme les autres, eux-mêmes,
Ont disparu,
Perdus, eux-mêmes, dans le néant,
Dans le rien noir absent,
Je ne vois pas pourquoi
Je m'inquiète de ce raisonnement.
La nuit est arrivée.
Je ne dors pas;
Mais je ne suis pas non plus éveillé.
Seul m'enveloppe confortablement
Une tranquillité,
Un calme,
Un repos,
Dont je ne voudrais pas me séparer.
La nuit est arrivée.
20/07/97
2014
Edition Mélibée
392 pages
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...