Le pardon est imploré.
Ils viennent.
Ils se repentent.
Ils reconnaissent.
Ils frappent leur poitrine.
Ils pleurent des larmes de contrition.
Ils avancent
En grave procession inspirée.
Ils se voilent la face.
Ils se courbent.
Ils s’avilissent
Et se prosternent.
Que d’efforts!
Que d’efforts pour sembler bons!
Que d’efforts pour sembler grands!
Que de rituel pour essayer de regrandir!
Que d’énergie pour se revaloriser!
Que de peine pour se faire réestimer!
« Nous ne savions pas
Que spoliation est injustice.
Nous ne voyions pas
Qu’arbitraire est torture.
Nous étions aveugles
Et sourds.
Les larmes et les cris,
L’horreur et le mépris
Ne nous affectaient pas.
Il était naturel
Le cortège de ceux
Qu’on conduit à l’enfer
Plus brûlant que l’enfer.
Il était de bon ton
D’écraser des familles.
Il était bienfaisant l’acte d’infanticide,
Et nous ne disions rien.
Nous acquiescions enfin
De faire prendre à d’autres
L’outrage éhonté
Qui en marquant ceux là
De notre lâcheté
Nous dressaient dans la haine
Et la boueuse vanité.
Et nous avons chanté:
Nous voila, nous voila.
Et nous chantons:
Nous voila, nous voila.
Prêts à commettre encore
D’autres iniquités
Pourvu que « Populace »
Veuille nous sanctifier.
Alors, c’était bien vu.
Et nous aimons être bien vus.
Et nous voulons être bien vus;
Et nous voulons être suprêmes
Depuis que nous avons repris,
A ceux qui nous ont précédés,
Les outils et le droit de torture.
Et nous sommes suprêmes:
Suprêmes d’excommunication,
Suprêmes d’anathème
Et de malédiction;
Bien vus de nous-mêmes,
Bien vus de ceux qui, bien voir,
Doivent,
Et les autres, on les tue.
Nous sommes la loi,
Et nous sommes les protecteurs
Des protecteurs de la loi.
Sans nous, ils n’existent pas
Et sans, eux, nous sommes sans voix.
Quel que soit le tyran,
Nous le portons dans nos bras
Pourvu qu’il nous serve a asseoir
La puissance dont on ne se lasse pas.
Et qu’importe la science,
La justice, la beauté!
Qu’importent les existences,
Pour que toujours nous soyons là.
Le temps a passé.
Le monde malgré nous a changé.
L’inquisition n’est plus autorisée.
Les exterminations bénies
Ne sont plus acceptées.
Nous avons attendu
Tant que nous avons pu,
Tant que nous pouvions dire
Etre fier du passé.
S’il reste des endroits
Où nous pouvons encore
Rejeter le bonheur, écraser le bon sens,
Bafouer la droiture et préférer la mort,
Nous restons, au fond de nos bassesses,
De vaillants hypocrites
Et de fiers scélérats.
Si autrefois nous avons fait cela,
C’est que c’était faisable,
C’est que c’était possible,
C’est que c’était habile.
Mais les temps sont tout autres.
Ce qu’alors nous avons accepté,
Aujourd’hui,
Est mal considéré;
Et avant qu’on nous montre du doigt,
Avant d’être sanctionnés,
Autoflagellons-nous
Avec une douceur exquise.
Jetons des cendres sur nos têtes;
Et d’un sujet qui ne nous engage plus,
Achetons une virginité
Nouvelle
Qui nous permettra, en passant, d’être plus forts
Sur les bastions que nous tenons encore.
Choix de son espérance et de son lendemain,
Protection de la vie,
Contre un mal sans pardon,
Qu’on cloue au pilori
En abomination.
Etre habile aujourd’hui,
C’est condamner notre hier.
Par des cris de douleur
Qu’aux autres nous savons imposer,
Retissons-nous une vertu,
Et continuons des massacres sans nom.
Continuons la froide horreur
Des bûchers et des flammes
Dont, dans cinquante ans,
Si c’est habile,
On vous demandera pardon.
Le pardon est demandé;
Que les honnêtes gens en soient émus,
Le pardon est demandé.
10/10/97
2014
Edition Mélibée
392 pages
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...