Le train s'arrête.
Des gens descendent
Et d'autres montent.
Le train repart
Sur son chemin de cailloux gris.
Le train s'arrête.
Une grosse vieille dame
En sort avec sa valise noire.
Un monsieur aux souliers neufs
Monte.
Le train repart
Et le monsieur avec ses souliers neufs
Regarde à la fenêtre.
Les arbres et les champs défilent.
Et le monsieur attend.
Le train s'arrête
Et on s'en va,
Et on arrive,
Et le train part.
Dans le wagon, des gens.
Des vieux, des jeunes.
Des beaux, des laids.
Des hommes, des femmes.
Avec des bagages
Ou juste un petit sac.
Et le train s'arrête,
Et le train part.
Et le train s'arrête,
Et le train part.
Et les gens montent,
Et les gens descendent.
Et les gens descendent,
Et les gens montent.
Et le train roule;
Et les arbres défilent
Avec les champs et les prés.
Le monsieur avec les chaussures neuves
Va s'asseoir.
En face, une petite fille
Avec du rouge sur le genou
Dort
En suçant son pouce.
Maintenant,
Des maisons.
De plus en plus de maisons
Et des immeubles.
Une ville.
On s'arrête.
Beaucoup de gens descendent
Et beaucoup de gens montent.
On se pousse.
On passe les valises.
On s'assied.
Une jeune dame,
Avec une robe jaune,
S'est installée.
Elle sort une revue.
Elle lit.
Elle lit un bon moment.
Puis elle regarde dehors.
La petite fille
Avec du rouge sur le genou
S'est éveillée;
Mais suce encore son pouce.
De l'autre côté,
Un homme mange un sandwich.
Le monsieur avec les chaussures neuves
Regarde autour de lui.
Il regarde les gens.
Un bébé pleure.
Le monsieur avec les chaussures neuves
Regarde les gens
Mais quand les gens
Découvrent son regard,
Il détourne les yeux
Pour ne pas les gêner.
La maman de la petite fille
Emmène la petite fille aux toilettes.
L'homme a fini son sandwich.
Le regard de la dame
Avec la robe jaune
Croise le regard du monsieur
Avec les chaussures neuves.
Ils se sourient.
La maman de la petite fille
Revient avec la petite fille.
Elles regagnent leurs places.
La maman donne un bonbon
A la petite fille.
Le bébé ne pleure plus.
Il doit dormir.
Le train s'arrête, on descend,
On monte, on repart.
Le contrôleur passe.
Il poinçonne les billets.
La petite fille s'ennuie.
Sa maman lui parle doucement
A l'oreille.
Alors, la petite fille re-suce son pouce.
L'homme au sandwich
Se lève.
Il va au bout du wagon.
Il fume une cigarette.
Puis il revient.
Le train ralentit.
La jeune dame avec la robe jaune
Se lève.
Elle range sa revue dans son sac.
Elle réajuste sa veste
Et dit:
"Excusez-moi".
Le monsieur avec les souliers neufs
Serre ses jambes contre la banquette
Et la jeune dame
Avec la robe jaune
Passe.
Le train s'arrête.
Elle descend.
Le monsieur avec les souliers neufs
La suit un moment du regard
Sur le quai.
Elle disparaît dans la foule.
Le train repart.
On roule.
Le soir arrive.
Elle a dit seulement
"Excusez-moi".
Le monsieur songe:
"Excusez-moi".
Et ses souliers neufs
Lui serrent un peu les pieds.
06/02/97
2014
Edition Mélibée
392 pages
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...