Les yeux perclus d’abandon
Et l’espérance noyée de solitude,
Au fond de son terrier,
Au fond du terrier
Qu’il avait creusé,
Ongles ébréchés
Et pattes sales et sanglantes,
Monsieur Lapin
Songeait.
A quoi bon?
A quoi bon
Encore?
Encore vouloir?
Les lapereaux
Avaient fui le domaine
Et l’ombre s’avançait:
Brume livide et grise;
Et l’hiver approchait.
Ses côtes fatiguées
Entretenaient tout juste
Un peu de souffle émerveillé.
Le murmure du vent,
Dans les ramures désolées,
Grisaient à peine le soucis
D’exister.
Loin, sans doute,
Quelque part,
Un peu de ciel
Subsistait.
Mais, ce ciel,
Pour qui?
Monsieur Lapin
Aimait à se faire croire
Qu’un peu, il en recevait.
Mais, il savait,
Quand il n’était pas dupe
De lui,
Que c’était un mirage;
Et que même s’il sortait
De son trou,
Et qu’il partait retrouver
Ce ciel,
Plus encore,
Le « non » s’épaissirait.
Alors, regard perdu
Vers dehors,
Vers plus loin,
Vers au travers,
Vers au travers la terre
La terre qui englobait le gîte,
Il regardait.
Et comme il regardait
Dans tout ce qui n’est pas,
De confuses images,
Reflet de son regard,
S’animèrent un peu
Au sombre du logis
Tapissé de jour
Venu par l’entrée.
C’étaient des devenirs
Autrefois entrevus,
Autrefois dessinés,
Autrefois désirés.
C’étaient des galopades
Dans l’herbe des alpages,
Dans les feuilles des bois,
Dans la neige joyeuse;
C’étaient des jeux rieurs
Eclaboussés d’attente,
Envolés de demain
Et ouverts d’entreprise.
C’étaient des inventions
Et des projets superbes
Colorés d’enthousiasme
Et de devenirs bleus.
C’étaient des constructions
Emplies d’intelligence
Et de secret couronnement
Allant vers le bonheur
Et l’accomplissement.
C’étaient de rudes tâches
Que seul on se soumet.
Nul ne peut l’exiger;
Mais on sait
Se l’imposer.
Se l’imposer
Contre toute observance
Des avis dispensés.
On sait
Contre l’opinion générale
Que le futur plus grand
Passe par ce chemin;
Que pour se respecter
Ce prix est à payer.
Et on paye:
Sans maugréer,
Sans hésiter,
Sans compter
Sa peine ni son temps
Sans compter
Sa fatigue ni son dénuement.
Et les images, au fond de la terre
Invitaient Monsieur Lapin
A se redresser,
A se défendre encore,
A repartir en conquête
Des projets nouveaux
Qu’il n’avait pas atteint,
Et à bâtir,
Et à créer aussi
Tous les chemins
Par lesquels il n’était pas allé.
Les images souriaient
A la tristesse de Monsieur Lapin;
Et la tristesse de Monsieur Lapin
Souriait aux images
Désirées.
Monsieur Lapin,
Tremblant de froid
Et de regret,
Echafaudait des plans
Et des façons nouvelles
De gravir enfin
La pente interdite.
Le ruisseau grondait
Un roulement de pluies
Vidées;
Et le déhanchement
Des arbres défoliés
Clouaient Monsieur Lapin
Au fond de son terrier.
21/11/97
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...