Depuis longtemps,
Depuis longtemps, il supposait,
Depuis toujours, il avait la certitude
Qu'au fond de la forêt
Verte de colonnes d'ombre
Et de piliers de lumière perforée,
Dans la moiteur humique
Aux cintres emportés,
Quelque part, un refuge
Croissait.
Traversant, folie anachronique,
Les broussailles encombrées,
Il progressait vers rien,
Vers le rêve imaginé,
Vers l'aboutissement du passé enfermé,
Vers la marche onirique
Sortant des critères du temps
Et du savoir acquis.
Les oiseaux traçaient son sillage
Et les sons reconnus aux senteurs telluriques
Le poussaient, pas à pas, vers son secret perdu.
* *
Repos de lourdeur,
Glaciale chaleur,
Parfums extatiques
Science de candeur.
Silence en rumeur,
Parlantes odeurs,
Forêt chimérique,
Féroce douceur.
Chevalier mythique,
Essence archaïque,
Brillante clameur,
Langoureux portiques.
Avenirs antiques,
Saveur hiératique,
Mouvantes couleurs,
Erreurs véridiques.
Pertinente douleur,
Mirage rieur,
Ténébreuse optique,
Séduisante peur.
Brillante noirceur,
Troublante fureur,
L'ardeur idyllique
Rejoint la fraîcheur.
* *
Dans une clairière ignorée de ses bords,
La cathédrale attend.
Blanche et nouvelle,
Elle grandissait là,
Nouvelle née depuis les temps cosmogoniques,
Rayonnant son éclat de lumière installée.
Le silence vibre,
Et cache derrière les murs épais,
Le grondement profond des orgues héroïques.
Les pinsons volettent sur les tuiles d'émail.
La turbulente paix se réfugie
Sous le mystère des voûtes ignorées.
Les portes sont fermées.
* *
Poussé par le vent qui hurle en déchéance,
Tu traînes tes pieds dans la boue de l'errance.
Venu par hasard dans l'ordre du séjour,
Tu veux le combler d'un orgueilleux retour.
De tes certitudes, sachant la droiture,
Tu vas où tu peux conquérant la nature,
Le poids de tes pas s'enfonce dans le sol,
Mais tu vas quand même ; ton regard est envol.
* *
Débouchant dans la clairière illuminée,
Il n'a pas compris tout de suite qu'il était arrivé.
Ebloui par le soleil inattendu,
Presque oublié,
Et presque redevenu ignoré,
Il n'a pas vu,
Caché dans l'exubérance timide,
Le sanctuaire révélé.
Il a tourné un moment dans la clairière,
Pendant des siècles accumulés,
Et ses yeux se sont habitués.
Au fond du creuset sombre,
Le brasier rutilait.
* *
Le beau projet fou, fait d'espoir et d'angoisse,
Projet de donner ses pensées à chacun,
De dire en riant que le monde est mesquin
Se blesse en heurtant la routine qui poisse.
Offrez vos travaux, que le monde s'accroisse !
Il est englouti dévoré des requins,
Le beau projet fou, fait d'espoir et d'angoisse,
Projet de donner ses pensées à chacun.
Vous ne pensiez pas qu'alors ils vous clouassent;
Juste pertinent, vous vous croyiez taquins...
Si vous dénoncez, des fortunes décroissent
Ils jettent au feu, étant de grands coquins,
Le grand projet fou, fait d'espoir et d'angoisse.
* *
Alors, il a tourné et tourné,
Et tourné.
Il a cherché, et cherché,
Et cherché.
Sans savoir ce qu'il cherchait ;
Sans savoir pourquoi il cherchait...
Longtemps.
Puis,
Sans se rendre compte,
Ni de comment,
Ni de quand,
Il a compris.
Il a compris qu'il avait compris
Qu'il cherchait seulement à savoir
Ce qu'il cherchait.
La porte était entrouverte.
* *
Souvent,
Avoir raison donne tort ;
Et,
Avoir tort donne raison.
Même si
Avoir raison ne donne pas raison,
Avoir tort ne donne pas,
Forcément,
Tort...
A tort ou à raison.
* *
Par l'entrebâillure,
S'engloutissait un monde ;
Un autre monde.
Un anti-monde.
L'exubérance timide
Etait
Une timide exubérance.
* *
Te le dirai-je ?
Je ne sais pas.
Les froids stratèges
Trouent mes repas.
Le long cortège
Qui me frappa,
Te le dirai-je ?
Je ne sais pas.
Ce qui m'allège
Et m'agrippa,
Tes joues de neige
Sont mon appât;
Te le dirai-je ?
* *
Il figeait devant la porte inébranlable,
Conquérant immobile de ses rêves transfigurés.
L'ombre lumineuse était émue
De battements rythmiques et de pulsations larges.
Les grands oiseaux blancs,
Vastes comme le ciel,
Invisibles dans la ténèbre,
Emplissaient de leurs ailes géantes,
De leurs circonvolutions souples et entières
L'espace affranchi.
L'air extérieur, contaminé de ces flux et reflux Chauds,
Engendrés de confort souriant,
Vibrait de clarté insolente.
Le grand balancement silencieux d'horloge fluide
Envahissait le monde rasséréné.
* *
Du gel impalpable et secret du vent lourdement éthéré,
Issu des profondeurs du sol, tiède est la fraîcheur abyssale ;
Et luit calmement la prestesse au vif statisme accéléré :
Vitesse immobile enlevée, lente turbulence glaciale.
La fuite éperdue se replie, chassant l'équinoxe affairée.
Visqueuse densité du vide, le monde s'expanse serré:
Aboutissement infini de concentration maximale.
Epais, l'air solide ténu emplit l'univers généré
Du gel impalpable.
Saphir d'émeraude incolore, cristaux éclatants acérés,
Tout l'air raréfié se dissout en fer et en onde banale.
Le flot irradiant qui s'épanche en calmes accents vénérés,
Délie les clameurs du silence où naît la conscience tribale.
Le règne d'absence envoûte la vie : la puissance avérée
Du gel impalpable.
* *
Tout était stable,
Et stablement installé.
Installé vers le plus grand,
Le plus beau,
Les meilleurs,
Fixé vers l'évolution progressante.
Plus de provisoire
De provisoirement provisoire,
De provisoirement définitif,
De définitivement provisoire,
Voire de définitivement définitive insuffisance.
Non,
Les choses allaient vers le devenir ;
S'ajoutant une à une
Dans un mouvement concerté;
S'étayant et se concertant mutuellement,
Sans manoeuvres inutiles,
Sans qu'une fin borne l'avenir.
Les voies rayonnantes croissaient
En se multipliant :
Réseau arboriférant
De luxuriante structure à la recherche du soleil.
* *
Vole la chevauchée nouvelle !
Les coursiers éblouis de lumière et de faste
Comblent sous leurs sabots les rumeurs qui retiennent.
Le froid s'est enfui, emporté par l'élan.
Gronde la joie qui s'emplit d'espérance !
Les chevaux emportés de brillantes couleurs,
Atteignent, dans le vent, la sereine musique,
Et franchissent, en cris, le rire inexploré.
Galop accompli d'enthousiasme solide,
La chaleur retrouvée s'ébat en vainqueur.
La commence la vie qui s'amoncelle.
Vole la chevauchée nouvelle.
* *
Alors, il apprit la clairière.
Il la déchiffra.
Il en connut chaque buisson,
Chaque touffe,
Chaque feuille,
Chaque repli,
Et chaque pierraille.
Et il tourna,
Tourna et retourna
Autour de la cathédrale.
Chaque fois qu'il s'en éloignait,
Chaque fois que la nuit la lui cachait,
Trahison !
A force de tourner,
Il en connut chaque roc.
Et chaque roc,
Apparence extérieure,
Lui laissait entrevoir
Le fabuleux dedans.
Au travers des murailles,
L'alchimie tumultueuse sourdait.
Même si restaient maintenus
Les lourds panneaux inébranlables,
Le monde magnifié débordait.
Ombre la nuit,
Et gèle l'hiver,
Le printemps va venir ;
La porte s'ouvrira.
* *
Dans le bouton, la fleur.
Dans l'oeuf, le paradisier.
Dans la chenille le papillon.
Dans l'aube, l'aurore
Et dans l'aurore, le jour.
Dans la clôture, le jardin.
Et quand le jour s'évade des parfums,
Quand la flamme illumine le regard reçu,
Quand rebondit ses gouttes cristallines,
Quand le souffle accélère au repos emporté,
Quand le rire s'étend sur les buissons de l'air,
La fleur exhale le bouton,
L'oiseau sublime l'oeuf,
Le papillon s'empapillonne plus
Et le jour enfiévré induit l'ardeur solaire
Du jardin débordant ses clôtures ;
Fontaines de couleurs.
* *
Murmure de rosée,
Diamant épanoui
Eclaireur des étoiles,
Goûte de naissance,
Tu révèles le ciel.
* *
Il s'est levé.
Il est allé tout droit ;
Droit vers devant lui ;
Vers le commencement de ce qui l'appelait,
Vers la marche inéluctable de la sagacité.
Ses mouvements traversaient, sans les toucher,
Les grandes graminées
Et les ronces tendres du matin :
Progression inaltérée devenue conquête stable,
Stabilité conquérante,
Certitude assouvie délivrant le chemin
De perspectives nouvelles.
Plus de freins,
Plus d'embûches,
Plus de combats inutiles.
L'anti-conquête est tombée :
Morte,
Enfouie,
Dépassée,
Rejetée,
Oubliée.
Il avance,
Il avance encore
Vers le coeur de la cathédrale.
Les portes...
Il n'y a pas de portes ;
Il n'y a plus de portes ;
Il n'y a jamais eu de portes.
La cathédrale majorée a dépassé la place.
La clairière, la forêt font partie de ses nefs.
Elle englobe le monde dans ses bras de fée.
Murailles extérieures nécessaires,
Ses remparts sont autour ;
Protecteurs chaleureux
Evanouis pour qui les a passés.
* *
Roulez les timbales de gloire appelée !
Que sonnent les cloches, carillon joyeux !
Les orgues ébranlent l'air renouvelé;
Fanfare éclatante tu atteins les cieux.
Les trompes s'enivrent, cris amoncelés;
Les fifres s'affolent d'esprit malicieux;
Roulez les timbales de gloire appelée !
Que sonnent les cloches, carillon joyeux !
Vibrantes engeances, insectes annelés,
Entrez dans la danse, nuages radieux ;
Toutes les bêtes en chant martelé
Entonnent cet hymne inconnu des envieux.
Roulez les timbales de gloire appelée !
Roulez les timbales de gloire appelée !
Que sonnent les cloches, carillon joyeux !
Les plantes, lançant leurs ombres dentelées,
Murmurent aussi s'unissant de leur mieux.
La terre, à son tour, en roche nivelée
Exhale l'humus crissant de parfums pieux.
Roulez les timbales de gloire appelée !
Que sonnent les cloches, carillon joyeux !
La ronde qui tourne, à la vie attelée,
Se gorge à la fête du plaisir des yeux ;
Les sens sont ravis de bonheur décelé ;
Et la bacchanale est un appel aux Dieux...
Roulez les timbales de gloire appelée !
08 02 98
2014
Edition Mélibée
392 pages
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...