Elle est pâle,
Presque lointaine,
Tranquille.
Ne se manifeste pas.
Mais elle existe.
Elle rayonne
De son éclat:
Mat
Et laiteux;
De son éclat métallique
De son éclat calme.
Pas l'éclair agressif
De l'acier
Non.
Fonte d'aluminium.
Discret,
Un peu retiré,
Mais limpide et séduisant ...
Quand même.
Elle est sur sa réserve,
Et ne veut pas qu'on la remarque.
Il en est qui gigotent,
Qui s'agitent,
Qui gargouillotent,
Qui glougloutent,
Qui soulèvent leur couvercle
Sous des spasmes de volutes de panache de vapeur
De soupe.
Elle, non.
Elle se tait.
Simplement,
Si, par hasard et par inadvertance,
On l'effleure du bout du doigt,
Elle vous lâche un petit
PFF !
D’avertissement.
Pas un gros PFFFF !
Méchant,
Non, juste un petit PFF !
Comme ça en passant.
Bien sûr, si vous la prenez
Par les deux poignées,
Et que vous l'agitez,
Comme n'importe quelle autre marmite,
Elle va se fâcher
Et vous cracher
Un grand jet de vapeur,
Excédée :
Comme une chatte qui défend ses petits.
Mais une telle incongruité
Ne viendrait à l'esprit
De personne.
Alors, elle se tait.
Elle accomplit sa tâche.
En silence.
Avec les autres ustensiles,
Jusqu'aux moindres casseroles
Et gamelles vulgaires,
On ouvre le couvercle,
On regarde à l'intérieur,
On y plonge une cuiller,
Et on brasse
Sans vergogne.
Et on ajoute ceci,
Ou cela,
Et on goûte,
Et on réfléchit,
Et on fait la grimace,
Et on corrige.
Là, non.
On fait confiance et on attend.
On attend dans un rêve
Et un désir d'extase future.
Alors, elle rayonne sa distante
Sérénité.
Sérénité ?
Qu'est-ce à dire ?
Ne sait-on pas qu'à l'intérieur
Une pression tumultueuse
De saveurs et de parfums
Gronde
Et s'enivre de couleurs secrètes
Agitées de turbulences profondes ?
Couleurs,
Couleurs luxuriantes,
Choux de verts attendris,
Poireaux d'étangs glauques,
Betteraves pourpres,
Navets diaphanes,
Carottes ensoleillées,
Poivrons rutilants,
Tomates de sang!
Et le safran :
Le ridicule petit safran,
L'hypocrite petit safran
Qui cache sous sa taille
Et son rouge de brique,
Filament négligeable,
Un jaune envahissant.
Filament conquérant,
Et sans tempérament :
Transmutation habile
En un glorieux or éclatant.
Et la marée profonde
S'enfle et se réalise.
L'oeuvre va émerger.
Le temps va arriver
Où le magma informe
Aura su, par sa grâce sublime,
Vivre, s'organiser.
Alors, elle dira
A vos coeurs éblouis
" Je n'ai fait que cela.
C'est peu, je le confesse,
Mais c'est cuit sans paresse
Et ne mérite pas,
Bien qu'exempt de déchets
Et sans ratures,
Qu'on adjoigne un quelconque cachet
Ni une signature".
Dès que j'aurai un moment,
Cocotte minute
Je te remercierai abondamment,
Cocotte minute,
Je te remercierai simplement d'être,
Cocotte minute.
Au son des flûtes,
Au son du luth,
Pour ce que tu débutes,
Pour ce que tu disputes,
Pour ce que tu imputes,
Pour ce que tu réfutes,
Pour ce que tu dismutes,
Pour ce que tu affûtes :
Dès que j'aurai un moment,
Merci, cocotte ...
Minute.
17/03/96
2014
Edition Mélibée
392 pages
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...