Un provincial !
Vous voyez ?
Un provincial…
Oui, c’est ça…
Pas très malin
Pas très instruit,
Pas bien dégourdi,
Pas bien dégrossi.
Un peu fruste,
Un peu borné,
Un peu demeuré,
Bref, un provincial, quoi !
Euh…
Pour ceux qui ne sont pas au courant,
Ou qui ne s'en souviendraient plus,
Pour ceux qui n'étaient pas avertis
Ou qu’on n’avait pas prévenus
Il est entendu
Mais rappelons-le quand même,
Qu’un provincial
C’est plus ignorant,
Pus incapable,
Plus facilement bernable,
Plus bête
Et, disons-le plus proche de l’animal
Que le naturel des capitales.
Alors,
On peut se demander :
Pour que l’effet de capitale
Soit plus intense,
Plus efficace
Et plus marqué,
Suffit-il d’y être né ?
Ou bien faut-il encore y résider ?
Certes, ceux qui, natifs
Y sont demeurés
Sont constamment illuminés
Par les divinités.
Qui saurait trop envier
La hauteur,
La clarté
La perspicacité
L’acuité et la pertinence,
Bef, le sort et la destinée
De ceux qui,
Enfants des grandes métropoles,
Dans leur totalité,
Quelle que soit leur naissance,
Quelle que soit leur fortune,
Quel que soit leur quartier
En tirent un intellect aussi développé
Et un devenir autant favorisé.
A l’opposé, émouvons nous.
Oh ! Oui !
Soyons émus !
Pétris de commisération
Pour ces pauvres êtres mineurs
Que l’adversité a fabriqués si diminués.
Plaignons ceux qui,
Nés dans l’oubli d’une province,
En ombre de sous humanité
On préféré y rester.
Bien sûr, ce sont là situations faciles à comprendre
Et à expliquer
Puisque tous les paramètres,
Chacun de leur côté,
Jouant dans le même sens,
Forment une dichotomie limpide.
Restent les cas intermédiaires :
Ceux où les prémices contradictoires
Nous déstabilisent
Et nous rendent perplexes.
On peut,
Malgré un bon départ
Ou une bonne volonté tardive
Etre salis, quoi qu’il advienne,
D’une provincialité rédhibitoire.
D’abord, les positifs.
Ceux qui étant nés bornés,
Un beau jour,
Par un voyage inopiné
Et pas forcément prémédité,
Se sont trouvés mués,
Presque contre leur gré,
Et de façon fort naturelle
En phares de la culture universelle.
En revanche,
Il reste,
Hélas,
Et aussi,
Le cas le plus tragiquement négatif
De ceux
Qui,
Promis aux plus hautes espérances,
Suite à une translation funeste,
Se voient
Et quels que soient leurs antécédents
Frappés de stupidité ;
Misérable engeance
Maudite jusqu’en sa descendance
Qui naîtra justement
Où il ne fallait pas.
Evidemment,
Il y a provincial
Et provincial.
Pour quiconque, d’une grande capitale nationale,
Une grande capitale régionale,
C’est déjà très provincial.
Bien sûr, vu d’une grand capitale régionale,
Une petite capitale régionale,
C’est encore plus provincial.
Alors, sautons.
Oui, hop ! Sautons.
Sautons sans omettre,
Mais sautons.
Sautons sans manières
Les sous préfectures sombres
Et les obscurs chefs lieu de canton
Et tentons…
Oh ! Que la tentative est déchirante
Et douloureuse
Et surhumaine !
Mais tentons quand même,
Rien qu’en imagination,
L’évocation
Des ces êtres fantomatiques
Qui
Âpres sauvages,
Se laissent aller à exister
A l’écart
D’un hameau isolé loin
D’un village perché derrière une forêt
Et qui,
Ignorant superbement l’hérésie de leur situation
Persistent dans l’erreur
Et dans la perdition.
Que dire pour leur défense ?
Rien.
Que voulez-vous dire ?
Hein ?
Dites nous …
Que voulez-vous dire ?
Toute parole est abolie.
Eux même n’ayant,
Vraisemblablement
Pas encore acquis
Le langage articulé
Doivent se contenter de vagissements flasques
Et de grondements inorganisés.
Ils vont…
Ils vont ? Est-ce possible ?
Vont-ils vraiment ?
En ont-ils la capacité ?
Trop parfaitement, et à ce point, atteints de provincialité,
Tout en eux n’est,
On suppose
Que rudiments.
Larves gluantes
Sans charpente osseuse,
La marche verticale leur est, sans doute, interdite.
Un jour,
Peut-être,
Ils acquerront la reptation.
En attendant,
A peine contenus
Dans un liquide
A peine physiologique,
Ils balancent au gré des remous du milieu
Sans savoir,
Sans décision,
Sans émotion,
Sans invention
Et, systèmes végétatifs,
Sans évolution.
Ils n’ont, d’humain, même pas le nom :
Ce sont les
Provinciaux,
Les vrais.
Ceux qui,
Si ont en juge par ce qu’on imagine,
Tout au fond de leur provincialité,
Sont dans l’état lamentable
Où on ne sait même pas vraiment s’ils ont atteint
L’organisation en acides aminés.
Alors, vous pensez…
Vous pensez comme de tels sous êtres,
De tels rebuts de l’humanité
Vous pensez combien
On peut les brocarder
Et s’en gausser.
Vous pensez à quel point
On peut les mépriser
A quel point
On doit aussi les fustiger
Afin qu’ils gardent la place
Qu’ils n’auraient jamais du quitter.
Parce qu’un peu… On veut bien…
Mais bien gardés
Derrière des barbelés,
Parqués dans des réserves
Où on peut, l’été, les photographier
Afin de montrer aux amis, quand on rentre,
Outre l’exotisme et la couleur locale,
La bravoure et le courage
Que l’on a su prodiguer
En risques encourus
Auprès des populations arriérées et sauvages.
Maintenant,
Quelque fois,
On croit être dans une capitale.
Mais on se trompe.
On n’est pas dans une capitale.
C'est-à-dire que…
On est dans une capitale,
Mais pas une vraie capitale.
Pas une capitale capitale.
Tenez :
Quand on est dans une capitale du nouveau monde,
On croit être plus dans une capitale
Que dans les capitales de l’ancien monde.
Erreur !
C’est quand on est dans les capitales de l’ancien monde
Qu’on est plus dans une capitale
Que dans les capitales du nouveau monde.
Bah oui !
Le nouveau monde est forcément d’abord
Province de l’ancien monde.
Ainsi, l’ancien monde a forcément de l’avance.
Et plus le nouveau monde
Est de moins en moins province,
Et plus l’ancien monde
Est de plus en plus ancien.
Donc, il a toujours autant d’avance.
Certains rétorquent
Que plus l’ancien monde est ancien,
Et plus il est sclérosé.
Mais ça :
C’est un argument du nouveau monde,
Donc provincial ?
Et donc spécieux,
Par lequel on n’est pas concerné.
Chronologiquement, et donc qualitativement,
L’ancien monde est le premier
Et le nouveau le deuxième.
Bon.
Il y a le troisième.
Oui, le troisième monde…
Le tiers monde.
Ah !
Vous voyez…
Vous comprenez maintenant
Pourquoi on peut le fouler au pied :
Le tiers monde.
Il va de soi
Que dans de telles contrées,
Frappées de tant de provincialité,
Aucun individu ne saurait manifester
La moindre part d’humanité.
Parfois, les provinciaux, ils ne sont pas contents.
Mais pas contents du tout
De se faire rappeler
Qu’ils sont, en toute simplicité
Le modèle parfait de l’infériorité.
Alors, ils boudent,
Ils grognent,
Ils font un gros caprice
Et même ils se révoltent.
Alors,
Essence supérieure,
Nous venons les aider.
A ces cadets chétifs de malingre débilité,
Nous leur tendons la main.
Pour traverser les rues que nous avons tracées,
Nous montrons le chemin.
Et puis lorsqu’il le faut,
A notre grand regret,
Il faut faire les gros yeux,
Les gourmander un peu,
Les priver de dessert,
S’il le faut, les fesser.
C’est un mal nécessaire.
Saint Denis le 05 12 00
2014
Edition Mélibée
392 pages
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...