Lorsque après avoir dévoré
Son morceau d'aurochs,
On envisage, au front de la tribu,
De peindre quelques fresques
Sur le fond de la grotte:
Folie!
Lorsque après avoir cuit un vase
Servant de récipient où l'on range
Olives ou amandes,
On se dit qu'après tout,
Y ajouter quelques chevaux ailés
Ou de champêtres scènes:
Folie!
Lorsque le sanctuaire
Est posé sur ses bases
Et que les piliers blancs
S'élancent vers le ciel,
Y sculpter quelques feuilles
Ou quelques personnages:
Folie
Lorsque dépossédé
Du temps de rêverie,
On veut construire
Un moyen différent,
Un moyen plus commode
Pour économiser sa force:
Folie!
Lorsque près des bergers
Soufflant dans les roseaux,
On imagine d'inventer
Un chalumeau plus sonore,
Au son plus harmonieux,
Ayant un doigté plus précis:
Folie!
Lorsque pour échapper
A tout ce qui afflige,
On rêve d'une vie plus grande
Où chacun peut profiter
De ce qu'il a créé
Sans que personne ne l'en spolie:
Folie!
Lorsque vouloir jouir
De la grandeur du monde,
De l'intelligence des hommes
Sans être attaché
Par ceux qui s'accaparent
Le produit de vos muscles,
De votre imagination,
De votre savoir,
De votre création...
Folie!
Lorsque après avoir peiné
On demande à grands cris
Le fruit de son travail
Et qu'on n'est pas entendu,
Si l'on songe à bâtir
Un outil différent
Dont nul ne pourra voler
Le résultat acquis:
Folie!
Lorsque trop jeune pour décider,
Il a fallu attendre;
Lorsque trop enchaîné,
Il a fallu patienter,
Patienter et attendre
D'être devenu trop vieux
Pour pouvoir commencer
Et commencer quand même:
Folie!
Lorsque trop fatigué
D'avoir trop travaillé,
Lorsque trop fatigué
D'avoir trop espéré,
Lorsque trop fatigué
D'avoir trop désiré,
Lorsque trop fatigué
De s'être fatigué
Pour rien,
Vouloir encore essayer:
Folie!
Lorsque trop écrasé
Par la mesquinerie,
Par la petitesse volontaire,
Par le manque de projet,
Par la servilité
De ceux qui sont autour
On veut enfin tenter
D'ouvrir ses ambitions:
Folie!
Folie!
Folie!
Dès lors: A bas la sagesse!
A bas la stagnation!
A bas la petitesse!
A bas l'enfermement!
A bas le conformisme!
A bas l’autocensure!
Mais à qui dit cela:
Folie!
Folie!
Mille fois
Folie!
Alors que vive la folie!
La folie libre,
La folie d'espoir,
La folie d'exaltation,
La folie de tentative,
La folie de tendresse,
La folie de réussite,
La folie d'invention,
La folie de rire,
La folie de délivrance,
La folie de revanche,
La folie de bonheur
Et d'absolue naissance.
Folie,
Folie,
Pardonne-moi, folie;
Je t'ai trop craint;
Je t'ai trop négligée;
Je t'ai trop oubliée.
Maintenant, folie,
Puisque tout ce que j'aime
Est folie,
Je vais te révérer;
Marcher vers ta réalité,
Folie.
Et s'il m'arrive de réussir,
Même un tout petit peu,
D'avoir une parcelle d'aboutissement,
C'est que tu es raison:
Folie.
20/07/97
2014
Edition Mélibée
392 pages
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...