Pauvres, pauvres innocents!
Ils ignorent ce qu'ils frappent;
Et dénigrent en versant
Le vrai flot qui leur échappe.
La pensée vive dérape
Dans leur bêtises de sang.
* *
Une cosmogonie première,
Epouvantée de ce qu'elle a créé,
Tente, dans un suprême élan,
D'abolir ce futur qui l'appelle;
Et, d'une autophagie sauvage,
Ne pouvant se détruire
Qu'en détruisant le temps,
Dévore sa progéniture:
Le demain de ses enfants.
* *
Mon Dieu que c'est laid!
Mon Dieu quelle horreur!
Il faut, sans délai,
Briser ce fauteur.
* *
Le solitaire enragé
Déchire, comme il peut,
Le fruit de sa naissance tragique;
Et fixe du fond de son cadre,
Yeux de macabre épouvante,
Les spectateurs qui le récusent
En ne comprenant pas que sa hideur
Veut seulement les sauver.
* *
Pauvres, pauvres innocents!
Ils ignorent ce qu'ils frappent;
Et dénigrent en versant
Le vrai flot qui leur échappe.
La pensée vive dérape
Dans leur bêtise de sang.
* *
Un grondement profond,
Trouant les masses telluriques,
Parvient, peu à peu, à se frayer un chemin,
Traversant, douloureux,
Les roches qu'il habite.
Il affleure, enfin issu des déïques abîmes.
D'abord roulement sourd ou tremblement confus.
Alors, sorti de sa gangue pierreuse,
En fanfares barbares,
Il s'échappe dans l'air;
Et rebondit sans fin en échos répétés.
De sommet en sommet,
De montagne en vallon,
Il hurle dans le vent et les nuées
La souffrance héroïque qu'il tient d'avant le temps.
Et dans un feu blafard,
Qu'il ignorait, peut-être,
Il inonde les êtres.
* *
Mon Dieu que c'est laid!
Mon dieu quelle horreur!
Il faut, sans délai,
Briser ce fauteur.
* *
La clameur rebondit,
Et, pour marquer plus fort
Sa hargne douloureuse,
Laisse parfois,
Dans un silence exsangue,
Chanter l'air dans les herbes;
Et dire aux sources qu'elles existent.
Puis, le brasier s'enfle encore;
Et les démiurges qui le hantent
Se déchirent, âpre férocité,
Jusqu'à leur extinction.
Brûlant leurs propres œuvres de titan,
Sonorités épiques
Que l'auditeur médusé,
Trop petit pour s'inclure,
Rejette
En refusant d'entendre
Que ce palais de monts qui flambe,
Aux sons sortis des creusets de vulcain,
N'est que leur triomphe et leur fin.
* *
Pauvres, pauvres innocents!
Ils ignorent ce qu'ils frappent;
Et dénigrent en versant
Le vrai flot qui leur échappe.
La pensée vive dérape
Dans leur bêtise de sang.
* *
Des images illuminées,
Chocs et fusion de concepts
Se croisant et se réalisant
En rencontres inattendues,
S'exhalent en fleurs maladives,
En bouffées de douleur
Et de sensibilité contenue.
Les idées éblouies d'être ainsi révélées
Fusionnent en bouquet de délice et de mort;
Et les amours interdites rayonnent
En feux d'artifice émerveillés
* *
Mon Dieu que c'est laid!
Mon dieu quelle horreur!
Il faut, sans délai,
Briser ce fauteur.
* *
La beauté immobile est couronnée
De tombeaux exubérants aux chatoyantes couleurs.
La charogne triomphe dans la moiteur
Des grottes marines aux échos répétés.
L'ordre s'étend sur le chaos du monde;
Et toute larme est un appel sans nom.
Le désir magnifié se glorifie
Au son des mots d'avide désespoir.
Là, le banal horrifié vomit;
Ignorant qu'il contemple, en simple passager,
L'éternité du monde et de ses passions pleines.
* *
Pauvres, pauvres innocents!
Ils ignorent ce qu'ils frappent;
Et dénigrent en versant
Le vrai flot qui leur échappe.
La pensée vive dérape
Dans leur bêtise de sang.
* *
Un bouffon s'évertue à singer la niaiserie humaine.
Il offre au "regardant" comme un miroir ouvert,
Lui demandant de rire de ses propres misères,
De ses difformités et de ses ridicules.
L'égoïsme suprême est étalé devant ses yeux,
Et ses oreilles vibrent du refrain de sa voix.
Le grand, le fort, le fourbe, l'hypocrite,
Le riche, le puissant, le méchant,
Déshabillés soudain devant l'œil du monde,
Laissent percer à jour leur bassesse vulgaire,
Et par un biais hilare tombent le masque.
* *
Mon Dieu que c'est laid!
Mon Dieu quelle horreur!
Il faut, sans délai,
Briser ce fauteur.
* *
Le donneur de spectacle: faiseur de créatures
Rend à Monsieur et Madame Chacun
L'image qu'il a lue sur les visages mornes
Et restitue, en caractères drolatiques,
Les informités du genre des humains.
Alors, le spectateur siffle.
Il vitupère, se cabre et se rebiffe.
Il hurle au scandale, à l'irrespect,
A la morale, au blasphème.
Il casse les chaises.
Il écrit des articles dans ses journaux avoués.
Il critique, il interdit, il punit.
Il récuse, Il proscrit, il châtie.
S'étant inconsciemment reconnu sous les traits
Qu'on lui peint,
Il est trop incapable, trop benêt et trop laid
Pour savoir que sous ces jours criards
Qui ne sont faits que pour rire,
On tente de l'élever au dessus des ignares.
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Pauvres, pauvres innocents!
Ils ignorent ce qu'ils frappent;
Et dénigrent, en versant,
Le vrai flot qui leur échappe.
La pensée vive dérape
Dans leur bêtise de sang.
* *
2014
Edition Mélibée
392 pages
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...