J'ai rêvé,
Ou, j'ai imaginé,
Ou, j'ai imaginé que j'ai rêvé,
Ou, j'ai rêvé que j'ai imaginé ...
Je ne sais plus au juste.
Mais je suis sûr que,
Dans une vie parallèle,
J'ai croisé ma vie ordinaire.
Les parallèles,
Lorsqu'on ne les surveille pas,
Se croisent parfois en catimini,
Pour se moquer de vous.
Comme vous ne vous y attendiez pas,
Vous n'avez pas le temps de bien comprendre ?
De bien voir;
De bien analyser.
Parce que,
Hop,
Elles reprennent leur distance
Avec un petit air innocent.
Alors, vous ne savez plus
Si c'est l'autre qui est parallèle
A vous,
Ou si c'est vous qui êtes parallèle
A l'autre.
Et vous vous demandez si c'est vous
Qui vous êtes rapproché de votre parallèle
(Un écart est si vite arrivé :
Par distraction)
Ou si c'est votre parallèle qui s'est rapprochée de vous,
Subrepticement,
Pour vous narguer un peu.
Peut-être que, dans un moment d'égarement
Magnétique,
Les deux ont incurvé leur rectitude spiroïde
Comme les côtés d'un sablier.
J'ai rêvé,
Ou, j'ai imaginé ...
Bref, il m'a semblé,
Pendant un court instant,
Qu'entre mes omoplates,
Poussait un arbre.
Pas un jeune scion chétif
Pas une tige frêle et folâtre ...
Non.
Un arbre.
Un vrai.
Un gros.
Un tilleul.
Un qui fait beaucoup d'ombre.
J'ai d'abord été un chimpanzé.
Grimaçant, grotesque.
Gargouille de cathédrale.
Que ma phylogenèse passe par l'état
De primate,
J'en suis convaincu.
Que mon ontogenèse en fasse autant,
Pourquoi pas.
J'ai donc commencé par une existence
Simiesque.
C'est presque rassurant.
Puis, d'un coup de baguette magique,
Ou de pinceau magique
Du peintre qui me créa
(Les pinceaux ne sont-ils pas
Des baguettes magiques
Dans les mains des magiciens ?)
Bref, subitement,
Au moment où je m'y attendais le moins,
Et pour tout dire,
Je n'y comptais plus trop,
Me voila promu
Au rang d'homo sapiens.
Comme cela.
Sans transition.
Pour être sapiens,
J’étais sapiens.
Complètement,
Directement,
Et exclusivement
Sapiens.
Erectus ?
Non. J'étais enroulé
Dans une position presque fœtale.
On pense mieux en position fœtale.
Homo-faber ?
Pas plus.
Je ne fabriquais rien.
Je ne faisais que penser.
J'avais pour cela une grosse tête
Ronde
Faite pour ...
Rien que penser.
J'étais nu,
Recroquevillé,
Je pensais ...
Et un arbre poussait,
Planté tout droit,
Entre mes épaules.
C'était peut-être lui
Mon côté Erectus ...
Va savoir.
D'ailleurs,
Lors de ma transmutation,
Il n'avait pas bougé.
Pas grandi,
Pas changé.
Mon avènement
Avait été instantané,
Et l'arbre poussait
Sans grandir.
Il n'était pas perpendiculaire
A mon dos.
Non,
I1 en faisait partie.
Et mon dos faisait partie de lui.
Symbiose.
Ses racines plongeaient
Dans le sol.
Et moi,
J'étais à mi-hauteur du tronc,
Tronc moi même
Et sapiens larvaire.
Que pensais-je ?
Je n'en sais rien.
Ma grosse tête ronde
De nouveau-né penchait
En avant,
Et le dessus de mon crâne
Rond
Débordait de pensée
Vers la frondaison de l'arbre.
La frondaison de l'arbre,
Elle,
Elle s'épanouissait en munificence
Généreuse et multiple :
Magnificence de foisonnement
Complexe,
Circonvolutions exaltées
D'encéphale abusif,
Bouillonnement d'émergences primaires
Au réseau cloisonné
De cerclages d'or aztèque,
Turbulence magmatique
Au volutes immobiles. Immobilité.
Statisme général,
Mais existence profonde.
Pensée exacerbée
Dans un ici unique
Résumant en soi-même
Tous les ailleurs lointains
Tous les ailleurs perdus
Ou pas encore conquis ;
Tous les ailleurs exclus
Et pourtant possédés, Compris,
Envahissants,
Mais pourtant maîtrisés.
La frondaison de l'arbre
Etait une pensée.
Une pensée englobant toutes les pensées,
Les pensées extraites de ma grosse tête ronde
Penchée en avant.
Et j'étais figé
Sous mon exubérante
Fixité,
Définitive,
Totale.
Alors,
Dans mon grouillement inerte
D'action pensée,
De pensée active,
De pensée dynamique
Et luxuriante de non mouvement,
Comme silencieux,
Hurlait
Les cris originels
De la proto matière en gestation.
23 /07/96
2014
Edition Mélibée
392 pages
Pour Jean Durier-Le Roux, lors de son activité professionnelle, le plus grand moment de plaisir jubilatoire quotidien, c'était la cantine. Là, avec une demi-douzaine de galapiats de son espèce, il refaisait le monde. Et puis, la retraite est arrivée : plus de débats dialectiques passionnés. Alors, en toute humilité, il a décidé d'écrire ce qu'il aurait pu défendre véhémentement. Un nouveau problème s'est présenté. Jean Durier-Le Roux s'est souvenu du devoir de philosophie inhérent à la classe de terminale : « Peut-on penser par soi-même ». Il essaie. Ça, pour essayer, il essaie. Même, parfois, il a l'impression d'y arriver... Et là, son narcissisme s'en trouve revalorisé. De quoi se préoccupe-t-il ? A priori de n'importe quoi. Toutefois, il faut bien l'avouer, les sujets liés à la situation sociopolitique reviennent de façon récurrente. Est-ce à regretter ? Aristote, dans le premier chapitre de l'Éthique à Nicomaque, montre que le plus haut niveau de réflexion philosophique que l'on puisse avoir est celui qui concerne le politique. Alors, si c'est Aristote qui le dit...